[ENTRETIEN] Le Bilan du Congrès par Marie-Hélène Péro Augereau-Hue
26 janvier 2023
Hommage à nos prédécesseurs. En 2018, le 114e Congrès des Notaires de France1, réuni à Cannes, posait déjà une question centrale : quel logement pour demain ? Avec prudence, sa troisième commission avertissait cependant : « Il existe tellement de scénarios susceptibles de modifier les équilibres instables des aires urbaines dans le temps que l’humilité est de rigueur dans ce travail de prospective ». Propos à la fois clairvoyants et prémonitoires ! Deux ans seulement après leur publication, un virus invisible et redoutable reconfigurait en quelques mois le mode de vie de millions de citadins, propulsant une partie des habitants hors des grandes agglomérations, annihilant les distances par le développement ultra rapide d’un télétravail désormais mondialisé et suscitant les rêves plus ou moins fous d’un habitat différent, plus protecteur, plus rassurant.
Une prise de conscience massive s’est produite. Se loger, c’est bien sûr prendre soin de soi-même et de ses proches ; c’est indispensable, mais cela ne suffit pas. Plus que par le passé, chacun aspire désormais à donner un sens à sa vie et à vivre sa vie avec sens. Dans cette optique, il est tout aussi essentiel et vital d’habiter la planète en préservant ses équilibres, ses ressources et toutes ses espèces vivantes. Aussi, élargissant le propos de nos prédécesseurs, nous demanderons-nous d’abord : quel habitat pour demain ?
Pour tenter de répondre à cette question, l’on se représentera qu’à l’image des êtres vivants qu’il abrite, le logement doit, au cours de son cycle d’existence, traverser d’abord les épreuves de la naissance (enjeux et contraintes de la production de logements), puis celles de la croissance (développer et faciliter l’accès au logement). Et qu’en toute logique, comme les êtres résidant « à son bord », il lui faudra un jour se confronter à celles de la sénescence (assurer la pérennité du logement).
Il faut donc tout d’abord réfléchir au mode de gouvernance à mettre en place pour organiser, transformer, voire même créer une ville dans laquelle chacun puisse avoir accès à un habitat choisi et de qualité. Une ville où travailler, mais sans gaspiller trop d’énergie, de temps ni d’argent dans les transports. Une ville où créer du lien social en participant à des activités culturelles ou commerciales. Mais aussi une ville respectueuse de l’environnement et soucieuse de préserver la biodiversité.
Il faut ensuite se demander comment ouvrir au plus grand nombre la possibilité d’un logement correspondant à la fois à ses besoins et à ses moyens.
Et il faut, enfin, rechercher comment adapter ce logement dans le temps, afin qu’il demeure en rapport tant avec la situation personnelle de ses occupants qu’avec les évolutions sociétales et environnementales qui le contraignent.
Trois interrogations si fondamentales qu’elles ne peuvent laisser aucun juriste indifférent. Trois interrogations auxquelles les trois commissions du 119e Congrès des notaires de France ont donc tenté d’apporter des éléments de réponse, à la lumière, bien sûr, de deux années de recherche, mais aussi de la grande expérience des notaires au contact de tous les acteurs du domaine du logement.
Afin d’introduire ces travaux, il nous a semblé utile de développer, en trois titres introductifs, trois thématiques communes utiles à leur compréhension. D’une part, préciser la notion de logement (titre I), d’autre part, tirer les leçons du passé en brossant un rapide historique du logement envisagé sous ses aspects juridiques (titre 2), enfin, de troisième part, récapituler les principaux défis sociétaux et environnementaux qui attendent les concepteurs de l’habitat de demain (titre III).
Un constat s’impose : le besoin de se loger est un besoin universel ; la question du logement est donc une question essentielle qui relève nécessairement du Droit et dépasse le simple cadre des législations étatiques (§ I). Mais ce besoin est satisfait très différemment en fonction du lieu où il s’exprime, et des moyens affectés à sa satisfaction. La même question appelle donc des réponses très diverses, non seulement au plan juridique, mais bien au-delà (§ II).
A l’heure où ces lignes sont écrites, il y a dans le monde 7,8 milliards d’habitants. Ce chiffre, en constante augmentation, signifie à lui seul l’importance de la question du logement et justifie que le Droit s’y intéresse au plus haut niveau. La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme proclame ainsi que la dignité humaine est le fondement de la liberté, de la justice et de la de paix dans le monde. Or, le logement est indubitablement l’un des éléments constitutifs de cette dignité2. Il parait donc acquis que l’Habitat, qu’il soit constitué de béton, de bois, de tôles ou d’un ciel étoilé, est un droit dont tout homme doit pouvoir faire usage dans des conditions de décence et de paix.
Néanmoins, la mise en œuvre de ce principe juridique se heurte à des obstacles économiques : tous les Etats ont à cœur de loger convenablement leur population, mais les politiques publiques n’ont pas et n’auront pas toutes les mêmes moyens pour faire face à la fois à la gestion du présent et aux enjeux des lendemains.
On constate, en effet, une grande variété des solutions retenues pour répondre à la question du logement. Ainsi, tout oppose les métropoles surpeuplées aux zones rurales, trop souvent désertées3. Cette diversité se manifeste aux yeux de tous par l’extrême variété des modes d’habitat.
Ecoutons Philippe SIMAY, philosophe, dans son livre Habiter le monde (et série éponyme diffusée sur Arte)
« La question de l’habitat me passionne parce qu’elle permet de comprendre comment nous humanisons le milieu naturel et lui conférons un sens, en nous l’appropriant, en le transformant au point parfois de le détruire. Comment des hommes peuvent-ils vivre dans la roche escarpée des montagnes iraniennes, sur des iles artificielles au beau milieu du lac Titicaca ou encore au cœur de la jungle indonésienne ? Par des constructions architecturales, tout d’abord, mais aussi par des gestes ordinaires, des manières d’aménager l’espace qui le rendent habitable ».
« Une chose m’a fasciné au cours de ces rencontres : absolument tout le monde – du Papou dans sa forêt aux Burkinabés de Tiébélé en passant par les Aymara péruviens vivant sur une île en paille – est extrêmement concerné par le lieu où il vit et est prêt à en parler, avec beaucoup de sérieux et de passion… Constater que l’interrogation sur l’avenir des territoires habités était universellement partagée m’a énormément réconforté et m’a redonné espoir »
Une question survient alors inévitablement : qu’est-ce, au juste, qu’un logement ?
Il n’existe, ni en Droit, ni hors du champ juridique, aucune définition générale et uniforme du logement. Il convient donc d’envisager son appréhension distinctement hors du champ juridique (A) puis au-delà (B).
Economie politique. Le logement possède, tout d’abord, une dimension économique : le logement est un bien marchand ; il existe donc un marché du logement, sujet aux lois de l’offre et de la demande, régulé, au besoin, par l’intervention des pouvoirs publics. La nature et l’intensité de cette intervention publique dépendent de la volonté politique, donnant naissance à ce qu’il est convenu d’appeler « les politiques du logement ». Mais cette dimension politique répond, elle-même, à des considérations d’ordre philosophique4, psychologique et social. L’aspect psychosociologique du logement fait, d’ailleurs, l’objet d’études approfondies5.
Psychosociologie. Au-delà de sa dimension économique et des conceptions politiques qu’il peut susciter, le logement, tel qu’appréhendé par les psychologues et les sociologues, possède une fonction de protection et une fonction d’identification.
La fonction de protection. Si l’on excepte certains peuples nomades, le logement représente le lieu matériel de « fixation » de chaque être humain sur notre terre et tout au long de la vie, qu’il soit seul ou qu’il partage ce lieu en famille ou avec des proches. Toutefois cette référence à un élément matériel est trop restrictive car du logement se dégage une autre dimension : son aspect sécuritaire et protecteur, un lieu à soi, dans lequel on se sent bien, sans qu’il soit pour autant nécessaire d’en être propriétaire. Un lieu pour soi, parce qu’il établit des limites, une bulle en laquelle les autres ne peuvent pénétrer sans y être invités. Un refuge, un espace protégé où est sensé se construire une part essentielle du bonheur de vivre. Avoir un logement, c’est donc se protéger et protéger les siens contre les dangers ou les intrusions venant de l’extérieur. Le logement préserve les aspects les plus privés de la vie de l’individu et de ses proches, en sauvegardant leur intimité. C’est pourquoi le sociologue Gustave Nicolas Fischer définit le logement comme « un espace aménagé dans lequel se déroule la vie privée ».6
La fonction d’identification. Mais avoir un logement positionne aussi un individu dans la société. Le logement influe à la fois sur les rapports sociaux qui se nouent en son sein (en particulier quand il constitue le cadre de vie d’une famille) et sur ceux qui naissent et se déploient à l’extérieur du logis, ce qui permet au même auteur d’écrire : « habiter un espace définit un rapport essentiel de l’être humain au territoire : c’est y établir un chez-soi… ; en revanche, ne pas avoir de chez-soi est l’image même du dénuement et du déracinement ». En d’autres termes : dis-moi où tu habites, je te dirai qui tu es.
Ainsi, le logement a vocation à s’ancrer tant dans la profondeur de la terre que dans celle des liens qui se tissent par lui et à travers lui. Il permet de créer et de voir s’épanouir du lien, des moments de joie, de bonheur, de tristesse ou de colère, toute la gamme des sentiments qui colorent l’espace d’une vie et qui convergent et se retrouvent en ce point central qui les relie. Sa fixité matérielle n’est pas immuable mais sa valeur fondatrice précède et suit l’habitant qui se déplace et qui retrouvera sous une autre forme, dans un autre lieu, la même sensation puissante et rassurante d’être « chez lui ».
Sans surprise, les dispositions juridiques applicables au logement reflètent les traits caractéristiques qui viennent d’être dégagés.
Le logement est un bien, et comme tel un objet juridique. Mais l’importance de ce bien, justifie, de la part du législateur, une attention toute singulière, tant dans l’intérêt général (§ I) que pour la préservation de nombre d’intérêts particuliers (§ 2).
Ainsi qu’on le verra plus loin, ce sont les crises sanitaires (épidémies) qui, les premières, ont suscité l’intervention des pouvoirs publics en matière de logement. C’est pourquoi, aujourd’hui encore, le Code de la santé publique règlemente la salubrité des logements7 par l’édiction de normes que complètent les règlements sanitaires départementaux.
Plus récemment, le Code de l’urbanisme a intégré des règles impératives en faisant obligation aux collectivités locales, communes et intercommunalités, pourtant toutes-puissantes en matière d’urbanisme, de prendre en compte :
On y trouve, sans que cette liste soit exhaustive :
Enceinte protectrice de l’intimité personnelle et familiale, le logement est concerné au premier chef par les dispositions, nationales et internationales, protectrices de la vie privée23. Sur leur fondement, toute intrusion non consentie dans un logement est répréhensible, alors même qu’en l’absence de tout préjudice, le droit des obligations resterait impuissant à allouer à son occupant des dommages-intérêts24. Le droit civil veille à la protection du logement de la famille contre les actes de disposition de l’époux seul propriétaire25, et proclame l’obligation solidaire des époux ou des partenaires d’un Pacs relativement à toutes les dépenses qui le concernent26. Dans l’intérêt des enfants, il en autorise aussi, en cas de séparation d’un couple marié ou Pacsé, l’attribution provisoire à l’un des deux parents27. Il assure la conservation du logement de la personne protégée aussi longtemps que son retour à domicile reste possible28. Au décès d’un époux ou du partenaire d’un Pacs, il confère au survivant un droit annuel d’habitation sur l’ancienne résidence du couple29, le conjoint marié pouvant en outre, par imputation sur ses droits successoraux, bénéficier d’un droit analogue à titre viager30. De même, le Code civil oblige le bailleur à délivrer au locataire d’une habitation principale un logement décent31 et institue la cotitularité du bail d’habitation du logement des époux ou des partenaires d’un Pacs32.
Le droit commercial quant à lui semble avoir achevé avec la loi dite « Macron » une évolution commencée en 2003 en direction de l’insaisissabilité de la résidence principale de l’entrepreneur individuel33, aujourd’hui étendue à l’ensemble de son patrimoine personnel.
Le droit fiscal, pour sa part, comporte de multiples mesures éparses et évolutives que l’on peut, avec Mme Barré-Pépin34, regrouper autour de deux axes majeurs : un premier de dispositions dérogatoires au droit commun qui singularisent la fiscalité du logement35 ; et un autre groupe de dispositions incitatives à l’investissement en ce domaine36.
Le droit pénal, enfin, accompagne naturellement ces différentes dispositions, par exemple lorsqu’il fait un délit de la violation de domicile37, ou lorsqu’il déploie tout l’arsenal des mesures réprimant la fourniture de logements indignes ou indécents38.
A l’issue de cette brève présentation, on constate donc l’existence d’un corpus important de règles cohérentes applicables en matière de logement mais dont les sources sont multiples. Pour mieux le cerner, il est à présent nécessaire de voir comment ces règles ont pris naissance, en dressant un bref historique.
1 Cannes, 2018, « Demain le territoire ».
2 Le bon sens populaire rejoint d’ailleurs le juriste à ce propos : dire de quelqu’un qu’il est « à la rue » n’a rien de flatteur !
3 On ne connaît pas les mêmes problématiques de logement à Rocamadour, village médiéval du Lot, 623 habitants pour 49 km2, qu’à Dubaï (E.A.U), 3.100.000 habitants pour 35 km2, où la tour Burj Khalifa, plus haut gratte-ciel du monde (828 m) est à ce jour encore en cours d’aménagement.
4 V. Gaston Bachelard, La poétique de l’espace, P.U.F, 1958.
5 Y. Fijalkow, Sociologie du logement, La Découverte, coll. Repères, 2011.
6 G.N. Fisher, Psychologie sociale de l’environnement, Dunod, 2011.
7 C. santé publ., art. L 1331-1 à L 1331-24.
8 C. urb., art.L. 121-1 et L 123-1-5.
9 C. urb., art. L 123-1-2.
10 D. n° 78-621 et 78-622 du 31 mai 1978.
11 CCH, art. L 111-1 et svt.
12 CCH, art. L 163-1 et svt.
13 CCH, art. L 126-16 et svt.
14 CCH, art. L 631-7.
15 CCH, art. L 132-1 et svt.
16 CCH, art. L 131-1 et svt ; art. L. 134-1 et svt.
17 CCH, art. L 161-1 et svt.
18 CCH, art. L 200-1 et svt.
19 On pense, bien sûr, aux ventes d’immeuble à construire de logements visées aux art L 261-1 et svt. définissant le secteur dit « protégé » du logement. Mais le CCH régit également les contrats de construction de maisons individuelles (art. L 231 et svt.) et différents baux (L 251-1 et svt).
20 CCH, art. L 411 et svt.
21 CCH, art. L 811-1 et svt.
22 CCCH, art. L 300-1 et svt.
23 C. civ., art. 9 et Conv. EDH 4 nov. 1950, art. 8.
24 Ainsi sont condamnés, même en l’absence de préjudice quantifiable : le propriétaire qui, sans le consentement de son locataire, a organisé une visite par des tiers quelques jours après la signature du bail, peu important le fait que le logement était alors encore vide de meubles et inoccupé ; et de même les ouvriers qui, pour justifier de difficultés à procéder à des travaux, ont cru bon de photographier sans le consentement de son occupant, l’intérieur d’un logement en grand désordre, et de transmettre ces photographies au bailleur.
25 C. civ., art. 215 al. 3.
26 C. civ., art. 220 et 515-4.
27 C. civ., art 372-2-9-1.
28 C. civ., art. 426.
29 C. civ., art. 763.
30 C. civ., art. 764.
31 C. civ., art. 1719.
32 C. civ., art. 1751.
33 C. com., art. L-526-1.
34 M. Barré-Pépin, la protection du logement en droit privé, Litec, 2009, n° 45.
35 On pense, par exemple, à l’exonération de la plus-value lors de la vente de la résidence principale (CGI, art. 150 U II 1°).
36 Tels les régimes successifs d’aide à l’investissement locatif mis en place depuis 1984 par les lois Méhaignerie, Quilès, Périssol, Besson, de Robien, Borloo, Scellier, Duflot, Pinel.
37 C. pén., art. 226-4 C.
38 C. pén., art. 225-14 relatif au délit d’hébergement indigne, 225.-19 prévoyant la confiscation des biens du marchand de sommeil, 225-26 ouvrant la possibilité de lui interdire l’achat de nouveaux logements (disposition bien connue des notaires) mais aussi, indirectement, L. 223-1 (délit de risque causé à autrui), L. 223-7 (délit d’omission de combattre un sinistre, L. 223-6 (délit de non-assistance à personne en danger).
Extrait du rapport du 119e Congrès des notaires de France 2023 - Version au 24/01/2023
Document non contractuel et sous réserve de modifications avant impression.
A paraître en juillet 2023 sur le site www.rapport-congresdesnotaires.fr
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