[ENTRETIEN] Le Bilan du Congrès par Marie-Hélène Péro Augereau-Hue
22 février 2023
La deuxième révolution industrielle : un monde qui se transforme. C’est à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe que le logement devient peu à peu une préoccupation politique et sociale. La deuxième révolution industrielle attire une nouvelle population de travailleurs dans les villes, où sont encore majoritairement implantées les industries. Ce modèle, hérité du moyen-âge, se révèle bien vite inadapté aux exigences combinées de l’industrialisation, de l’urbanisation et de la croissance démographique.
Un constat alarmant. Une part croissante des habitants des villes où se développent les manufactures n’a d’autre choix que de s’entasser dans les logements existants, très insuffisants, voire dans d’autres locaux ne pouvant guère être qualifiés de logements. Les auteurs de la loi Solidarité Renouvellement urbain – SRU – auraient été bien en peine devant l’ampleur de cette situation. Naturellement, des difficultés d’ordre sanitaire ne manquent pas d’apparaître, avec la propagation d’épidémies (choléra).
Pourtant, dès 1832, le célèbre rapport du docteur Louis-René Villermé1 faisait déjà état de la difficulté à se loger « … la cherté des loyers ne permet pas à ceux des ouvriers en coton du département du Haut-Rhin, qui gagnent les plus faibles salaires ou qui ont les plus fortes charges, de se loger… Cela s’observe surtout à Mulhouse. Cette ville s’accroît très vite ; mais les manufactures se développant plus rapidement encore, elle ne peut recevoir tous ceux qu’attire sans cesse dans ses murs le besoin de travail. De là, la nécessité pour les plus pauvres, qui ne pourraient d’ailleurs payer les loyers au taux élevé où ils sont, d’aller se loger loin de la ville, à une lieue, une lieue et demie, ou même plus loin, et d’en faire par conséquent chaque jour deux ou trois, pour se rendre le matin à la manufacture, et rentrer le soir chez eux »2.
Cette explosion urbaine est particulièrement caractérisée à Paris. Après la défaite de 1870, les fortifications qui entouraient la capitale et une zone « non aedificandi » qui s’étendait au-delà et servait de zone de tir de canon pour l’armée, est délaissée. Elle donnera naissance à « la zone », le plus grand bidonville de France. D’après un recensement effectué en 1926, environ 42 000 personnes y vivaient et pratiquement trois fois plus d’après le syndicat des zoniers.
Des quartiers dangereux. Aux difficultés sanitaires viennent bientôt se superposer des problèmes de sécurité. Dans cette zone qualifiée déjà de « zone de non droit », s’activent des bandes de quartiers, les « bandes d’Apaches » qui font régner la terreur auprès des bourgeois. Elles portent des noms prosaïques : la bande des « Quatre Chemins d’Aubervilliers », les « monte-en-l’air l’air des Batignolles », les « loups de la Butte » ou les « cœurs d’acier » de Saint Ouen3.
Les informations du site musée HLM et des cartes postales de la collection Patrick Kamoun, nous apportent d’intéressantes informations qui nous permettent notamment de mettre en perspective les préoccupations en matière de logement à différentes époques, pas si lointaines, et la manière dont des français pouvaient être logés il y a un peu plus d’un siècle, deux ou trois générations, nos grands-parents ou arrières grands-parents.
Il était habituel également de qualifier de taudis, des quartiers entiers, ce qu’on appelle aujourd’hui l’hyper centre parisien, lyonnais ou marseillais. On trouvait alors à se loger dans des cages d’escalier ou même sur un banc à l’arrière des grands cabarets qu’il était possible de louer pour la nuit.
Nous pouvons retrouver ci-dessous :
Source https://musee-hlm.fr/ark:/naan/a011486396909e3PJpx/0c90036b69
Source https://musee-hlm.fr/ark:/naan/a011486396910D9SJqR/c841bc2640
Source : https://musee-hlm.fr/ark:/naan/a011486396911gGI3Qo/f98e9b5b35
Et l’intérieur d’une maison de pêcheurs :
Source : https://musee-hlm.fr/ark:/naan/a0114863969112nJXOa/7edde7543b
Ci-dessous la Zone de la porte d’Ivry :
Les premiers marchands de sommeil. Enfin, la situation ainsi crée favorise la spéculation du plus bas étage. Les marchands de sommeil que notre réglementation tente de contrôler aujourd’hui, existaient déjà. A Paris s’instaure dans des hôtels sordides, la pratique du « lit chaud » où les ouvriers faisant les trois-huit se succèdent dans le même lit. A Lille on peut dénombrer environ 1500 auberges ou « chambrées » tenant lieu de dortoirs pour ouvriers.
La doctrine sociale du Second Empire. Les conceptions sociales prennent un premier essor sous le Second Empire, le prince-président Louis Napoléon Bonaparte militant en faveur de l’extinction du paupérisme. En 1849, il initie le projet d’une cité ouvrière propre à fournir à ses occupants, au-delà d’un simple hébergement, un véritable habitat. L’idée en sera amplifiée à l’occasion des expositions universelles de 1867 et 1889 à l’occasion desquelles seront présentées et primées des solutions au problème du « logement populaire ». Au-delà, et fidèle à son objectif initial d’élimination de la pauvreté, Napoléon III prend même sur sa « cassette » personnelle pour créer une « œuvre des loyers » et venir en aide aux ménages menacés d’expulsion. Il n’est toutefois pas soutenu par ses proches, partisans de l’économie libérale et de son célèbre représentant le Baron Haussmann.
La concrétisation d’une utopie : la Cité Napoléon
En 1849, le prince-président Louis Napoléon Bonaparte initie un projet national de construction de cités ouvrières, dont le premier situé à Paris est réalisé afin de donner aux ouvriers d’une usine à gaz voisine, des logements sains, aérés et pourvus de nouveaux équipements comme des lavoirs, des chèches et des bains. Ce projet qui s’articulait autour de 86 logements bâtis autour d’une cour-jardin, est l’œuvre de l’architecte Marie-Gabriel Veugny. L’accès aux étages se faisait par de larges escaliers qui débouchaient sur une véritable rue galerie avec une toiture en verre. Chaque palier comportait un point d’eau et des water-closet et on retrouvait au rez-de-chaussée, des services communs (lavoir et séchoir, un « établissement » de bains, une « salle d’asile »4 et une école primaire. Il était toutefois accompagné d’un règlement très strict de bonne conduite : la cité fermait le soir à 22 heures et un médecin vient contrôler l’état de santé et l’hygiène des résidents. Malgré une jolie conception architecturale (passerelles et coursives éclairées par des verrières, jardin partagé), les coûts élevés des loyers (60 à 180 francs) la promiscuité et l’enfermement et la surveillance d’un gardien, sont mal vécus. Ce projet utopique n’a pas de suite mais la « Cité Napoléon » existe toujours.
Située à l’angle de la rue Rochechouart dans le 9e arrondissement de Paris, elle est aujourd’hui considérée comme habitation « bourgeoise » les prix d’un appartement avoisinent 12.000 euros le mètre carré.
Le regard des expositions universelles de 1867 et 1889
En 1867, l’exposition universelle est l’occasion de la remise d’un prix à Napoléon III, appelé comme lauréat pour les maisons ouvrières. Frédéric Le Play, auteur de la « Réforme sociale » en 1864 est commissaire général et il a créé une récompense spécifique pour les projets d’initiatives sociales patronales. Une partie de cette exposition consacre les « habitations caractérisées par le bon marché uni aux conditions d’hygiène et de bien-être ». Il était possible d’y découvrir des plans et des maquettes ainsi que de vraies maisons édifiées à cette occasion.
La Compagnie des Houillères d’Anzin proposera la location de près de 3500 maisons à ses ouvriers, la Société Lorraine de Wendel construira dans les années 1880, le village de Joeuf avec 800 logements. Madame Jouffroy-Renault a fait construire 40 pavillons en bande avec jardins à Clichy-la-Garenne. Mais déjà on entend certaines controverses quant à l’opportunité de construire des logements collectifs ou des maisons individuelles symbolisant une meilleure intégration de la classe ouvrière.
Lors de l’Exposition Universelle de 1889, le sujet des habitations ouvrières ou bon marché est toujours d’actualité. On y entend notamment que « la possession de sa maison opère sur l’ouvrier une transformation complète. Avec une maisonnette et un jardin, on fait de l’ouvrier un chef de famille digne de ce nom, c’est-à-dire moral et prévoyant, se sentant des racines et ayant autorité sur les siens ». Une section de cette exposition est consacrée aux habitations à bon marché et présidée par le député-maire du Havre, Jules Siegfried.
C’est à la suite de cette exposition que s’est tenu le premier congrès international des habitations à bon marché, autre source féconde d’idées qui ont pu se diffuser.
Le casier sanitaire. Afin de recenser plus ou moins précisément le mal logement, certaines villes à la fin du XIXème siècle organisent la création d’un casier sanitaire, sur le modèle présenté au Congrès international d’hygiène et de démographie de Bruxelles en 1903. Il s’agit d’un registre répertoriant l’état de salubrité de tous les logements. Plusieurs villes l’adoptent, comme Le Havre, Saint Étienne, Nice, Amiens, Montluçon et Paris.
Les prémices du logement social. Au début du XXème siècle, dans les villes de plus de 5.000 habitants, plus de 60 % des foyers vit encore dans une seule pièce. Le manque d’hygiène demeure une préoccupation majeure pour le législateur, ces conditions misérables d’habitat ayant notamment pour conséquence la propagation d’épidémies, notamment de la tuberculose qui fait près de 100 000 morts par an. Et que dire de la mortalité infantile qui frappe un enfant sur cinq de moins de 5 ans.
C’est sur ce terreau que germe l’idée de « logement social », qui n’est cependant pas dénuée d’arrières pensées politiques, comme l’énonce Jules Siegfried, le père fondateur des Habitations à Bon Marché : « celui qui possède ne veut pas abattre l’ordre existant ».
§ 1 - La non-intervention de l’Etat
Au 19e siècle apparaît une nouvelle problématique qui est celle du logement des personnes venant travailler de manière massive dans les centres-villes. Ils ne peuvent être accueillis dans des conditions décentes (si tant est que l’on puisse considérer qu’ils quittaient des logements décents) parce que les logements nécessaires n’existent pas. Les plus pauvres continuent d’habiter dans des taudis mais on constate la naissance d’une volonté de vouloir loger les salariés.
Si la politique du logement n’existe pas encore, on voit toutefois apparaitre une prise de conscience des pouvoirs publics. Gardons bien à l’esprit que le 19e siècle en France reste le siècle d’un libéralisme économique et même d’un libéralisme non régulé qu’il est bien difficile d’imaginer aujourd’hui.
§ 2 - Les initiatives patronales
Les premières initiatives sont donc privées, venant du patronat, premier intéressé à l’accueil de cette nouvelle main d’œuvre sur son site de travail. On perçoit que l’esprit n’est pas ici purement philanthropique : un ouvrier mal logé et qui dort mal est moins performant ! Offrir des conditions de logement décentes est une garantie ou, au moins, un moyen d’agir sur la santé des travailleurs et, partant, leur productivité. Ainsi apparaissent les logements ouvriers et les cités ouvrières, qui intègrent peu à peu de nouvelles préoccupations sanitaires et sociales telles qu’une superficie minimale et la séparation des chambres à coucher dédiées aux parents et aux enfants, et un ameublement approprié.
Exemple de Mulhouse où, dès la fin du 19e et plus encore dans les années 1830 à 1840, les patrons catholiques et protestant dans le domaine du textile créé la société mulhousienne des cités ouvrières.
Source : http://www.crdp-strasbourg.fr/data/patrimoine-industriel/mulhouse-19/images/big-cite_ouvriere1.jpg
Pour autant, la question de l’espace urbain reste posée car, en dehors de ces nouvelles cités, et faute de place dans le centre des villes, on entasse la population dans les logements existants. A Paris, cependant, un grand coup va être frappé …
1 Né à Paris en 1782, chirurgien dans les armées napoléoniennes, il se consacre à l’étude des problèmes soulevés par les inégalités sociales.
2 Une lieue représente environ 4,82 kilomètres.
3 Source : site internet du musée HLM : https://musee-hlm.fr/
4 Garderie pour enfants.
Extrait du rapport du 119e Congrès des notaires de France 2023 - Version au 21/02/2023
Document non contractuel et sous réserve de modifications avant impression.
A paraître en juillet 2023 sur le site www.rapport-congresdesnotaires.fr
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