QU'EST-CE QU'UN RAPPORT SAIN A L'ARGENT ?

21 janvier 2025

QU'EST-CE QU'UN RAPPORT SAIN A L'ARGENT ?

Article paru dans Philosophie Magazine

121e Congrès

L'ENVIE NE FAIT PAS LE BONHEUR

Karine a deux enfants, qui ont développé des rappons opposés à l'argent : l'un plutôt sur la réserve, l'autre sur la dépense. " Il y a une sorte de déterminisme, qui m'échappe, confie-t-elle. Est-ce un choix ou une façon de se rapporter à la vie qui s'impose à nous ?» Existe-t-il un caractère d'économe ou de flambeur ? Je me tourne vers maître Jean Gasté, notaire à Nantes et président du 121e Congrès des notaires de France.« Dans ma fonction de notaire, précise-t-il, j'ai notamment celle d'être spécialisé en droit international et nos études le confirment, les mentalités quant à l'argent ne sont pas les mêmes d'un pays à un autre, selon le territoire et l'histoire nationale. Dans les pays anglo-saxons, particulièrement aux États-Unis, l'argent montre la réussite. Il y a aussi moins d'aversion au risque parce qu'ils ont un "droit au rebond", celui de se tromper, qui commence seulement à être introduit dans notre droit latin. » Comment se concrétisent ces différences culturelles ? « Quand des couples binationaux s'unissent, la question se pose des revenus et du patrimoine qu'ils créeront au cours de leur relation. Le droit latin tend davantage à la communauté des biens, là où le droit musulman, par exemple, favorise la séparation, ce que peut prévoir un contrat de mariage, même s'il y a, en France, des règles minimales afin de ne pas laisser son conjoint dans la difficulté. »

Jean Gasté pointe par ailleurs un phénomène bien français dans nos rappons à l'argent : la jalousie ! Il l'explicite avec un exemple. « Imaginez un immeuble en copro­priété avec des combles non utilisés. Si un voisin dit vouloir les racheter pour en faire un appartement, il arrive que les copropriétaires n'acceptent pas de les vendre parce que l'acheteur risque de s'enrichir. » La mécanique du désir rival joue à plein : c'est ainsi qu'un grenier un peu « merdique » devient soudain l'objet de convoitises. « L'envie, c'est la haine, en tant qu'elle dispose l'homme à s'attrister du bonheur d'autrui et au contraire à se réjouir de son malheur », relève Spinoza dans l'Éthique (1677). Et « si nous imaginons qu'une personne se complaise dans la possession d'un objet dont seule elle peut jouir, nous ferons effort pour qu'elle ne le possède plus ». Le philosophe n'a toutefois pas de position de principe contre l'argent, il estime même que sa recherche peut susciter l'émulation plutôt que la haine, voire créer une solidarité d'intérêt.

Cette ambition est précisément celle du notaire, en tant que « magistrat de l'amiable, selon l'expression de Jean Gasté. En famille, dans le couple, entre associés, entre vendeurs et acquéreurs, notre rôle est d'apaiser les tensions humaines. Parce que le divorce ou les successions peuvent être des moments où l'on ose ouvrir son cœur, où l'on règle ses comptes, en faisant payer à l'autre d'avoir été infidèle ou de ne pas avoir été "gentil" ... On peut se cacher derrière la technique et faire du droit pur, mais respecter simplement le Code civil n'a aucun intérêt si l'on perpétue derrière un contentieux. Notre rôle, impartial c’est de trouver une solution qui convienne à tous, la plus équitable. » Rien de trop évident, admet le notaire qui conclut avec relativité : « J'ai l'habitude de brasser beaucoup de sous mais je ne sais toujours pas ce qu'est la richesse. Je prends souvent l'exemple de Madame Bettencourt, dont la richesse, au soir de sa vie, a conduit au pugilat. Qu'a-t-elle transmis ? Peut-être pas tant de valeur, finalement. »