[ENTRETIEN] Le Bilan du Congrès par Marie-Hélène Péro Augereau-Hue
Présentation des travaux juridiques du 117e Congrès des Notaires de France
Le numérique, l’Homme et le droit.
Accompagner et sécuriser la révolution digitale.
Le numérique a investi toutes les strates de la vie économique et sociale de la personne et du citoyen.
Il offre à chaque individu des moyens nouveaux pour se reconnaître une identité, s’exprimer et parfois même exister. Toutes ces traces de vie privée ainsi laissées sur la toile sont autant d’empreintes de l’existence et de la vie réelle de chacun, à tel point qu’une réflexion s’impose sur la notion même de « vie privée » et de « vie publique » qui ne recouvre pas les mêmes réalités eu égard aux différences culturelles et sociologiques pouvant exister entre les individus.
Si le numérique créé les conditions d’un nouvel espace de liberté d’expression, cette liberté doit toutefois s’exercer dans le droit reconnu à chaque individu de maîtriser ses données personnelles de son vivant mais aussi après la mort. Le monde numérique créé l’illusion d’une forme d’immortalité car l’existence numérique d’une personne (adresses mails, comptes sur réseaux sociaux, mots de passe, espaces de stockage de photos, etc.) ne s’arrête pas à sa mort physique. A l’inverse, le droit à une disparition numérique de son vivant doit être reconnu à chaque individu par un exercice du droit à l’effacement des données ou « droit à l’oubli ».
Le numérique n’est cependant pas un choix pour bon nombre d’individus. Ce nouvel univers dématérialisé créé des inégalités pour ceux qui n’ont pas accès à internet et aux technologies informatiques. Ces exclus du numérique, frappés d’« illectronisme » sont atteints d’une nouvelle forme de e-vulnérabilité qui mérite une protection particulière. La capacité juridique ou la vulnérabilité doivent-elle s’appréhender de la même manière dans le monde physique et le monde digital ?
Une intermédiation avec l’État et les différents acteurs économiques semble indispensable. La dématérialisation de l’action publique, souvent justifiée par une volonté de simplification des rapports entre l’État et le citoyen et qui permet de réaliser des économies substantielles ne doit pas se faire au détriment des « jamais-connectés ». L’État doit pouvoir garantir à chaque citoyen un accès à l’« e-administration ». Pourtant, certaines démarches officielles doivent obligatoirement être effectuées en ligne, sans plus aucun contact humain.
Faut-il en conclure qu’il existe désormais une citoyenneté numérique ?
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Le monde numérique a donné naissance à de nouveaux biens, droits et obligations dont une personne peut être titulaire ou tenue. Le numérique ne s’est donc pas contenté de révolutionner les modes de gestion et de détention des actifs patrimoniaux traditionnels, il a également créé ses propres actifs (crypto-monnaies bitcoins, ethereum, tokens d’usage, security token) qui participent à la constitution d’un patrimoine numérique d’un ordre nouveau.
L’entreprise découvre ainsi des possibilités de financement inédites par la tokénisation d’instruments financiers et de ses produits ou services (ICO). Elle voit apparaître de nouveaux outils qui facilitent sa gouvernance grâce notamment à la technologie blockchain. Surtout, l’apparition de ces nouveaux actifs pose la question de leur valorisation et de leur mise en garantie par la constitution de sûretés, conditions déterminantes de la pérennité d’une économie numérique qui fait déjà les promesses de sa prospérité.
L’immobilier se trouve par ailleurs profondément impacté par la révolution digitale, notamment au stade de la conception des ouvrages avec l’apparition du BIM (Building Information Modeling). L’ère numérique offre ainsi aux professionnels de l’immobilier des informations et outils exceptionnels pour planifier, concevoir, construire et gérer plus efficacement des bâtiments et des infrastructures. Elle offre également de nouvelles perspectives sur les transactions avec l’apparition de la tokénisation immobilière et la digitalisation de la publicité foncière.
Enfin, l’existence de ces nouveaux actifs au sein du patrimoine familial interpelle le juriste sur l’application de la règle de droit. La liquidation et le partage de régimes matrimoniaux et de successions comprenant des actifs numériques familiaux n’est pas sans susciter des interrogations et difficultés pratiques liées à leurs spécificités économiques, civiles et fiscales. Comment en effet traiter le sort d’un token ou du site internet ouvert par l’un des conjoints dans un divorce ou une succession ? Comment calculer une récompense liée à un bitcoin dont la principale caractéristique est sa volatilité ?
Une réflexion s’impose par ailleurs pour adapter les transmissions entre vifs et à cause de mort aux nouveaux enjeux du digital. Ainsi, les règles de forme des testaments qui n’ont pas évolué depuis des décennies ne doivent-elles pas s’adapter aux pratiques d’une génération 3.0 née dans un monde pixélisé ?
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Le contrat appartient déjà à la sphère de l’immatériel car il repose avant tout sur un accord de volontés dont l’expression ne commande aucune matérialité. Pour autant, la révolution digitale interroge le droit des contrats sur la pertinence de règles établies à une époque où la matérialité caractérisait à la fois l’objet et la forme des contrats. Il convient par conséquent de revisiter les règles de formation et d’exécution des contrats sous le prisme du numérique et ainsi définir les conditions d’une éventuelle adaptation du droit des contrats à la vie numérique. Ainsi, la conclusion d’un contrat par un simple « double clic » ne nécessite-t-elle pas une obligation d’information précontractuelle renforcée ? Les sanctions du contrat doivent-elles se calculer et s’exécuter automatiquement au moyen d’un smart contract et en dehors de toute intervention humaine ? Quelle est la portée probatoire de la signature numérique ou de la blockchain dans un litige consécutif à une transaction ?
Cette adaptation du droit des contrats à la vie numérique ne peut pas toutefois se réaliser sans sécurité juridique. La sécurité juridique est en effet une condition déterminante au développement de l’économie numérique. L’exigence de sécurité et d’efficacité qui justifie souvent la conclusion d’un contrat est par ailleurs une attente légitime des cocontractants quelle que soit la forme numérique de l’opération contractuelle en général ou du contrat en particulier. La sécurité juridique suppose en effet que les parties puissent obtenir avec certitude ce qu’elles ont recherché en contractant ensemble.
Le contrat étant un acte de prévision, les nouvelles technologies le rendent-il plus sûr ? Facilitent-elles les relations contractuelles ? D’une façon générale, en assurent-elles la sécurité juridique ?
Au-delà de la règle de droit, ce sont également les professionnels du droit et du chiffre qui doivent repenser leurs rôles et leurs missions. En effet, quelle est la plus-value apportée par un rédacteur d’actes lorsque l’intelligence artificielle peut détecter les incohérences d’un contrat ou les clauses contraires au droit positif ? Quelle est la plus-value de l’officier public pour attester d’une date, de l’existence d’un consentement ou d’une donnée face au chronodatage d’un logiciel, à l’enregistrement vidéo d’un accord ou au maillage de la blockchain ? L’activité de conseil peut-elle se dispenser de toute intervention humaine ?
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Elisabeth Dupart-Lamblin
Conseiller sociologique de l’équipe
Pour bénéficier du regard du sociologue sur l’impact du numérique sur l’organisation et le fonctionnement de la société, l’équipe a pu s’appuyer sur l’expertise du professeur Dominique Boullier